La confrontation, la Foi et le combat moderne

La confrontation, la Foi et le combat moderne

par Vladimir Vasiliev et Konstantin Komarov

Quelle est la plus importante vertu que doit posséder un combattant ?

Vladimir Vasiliev (VV) : le calme et la Foi, reliés l’un à l’autre. Si vous êtes croyant vous êtes calme, sinon vous êtes impatient.

Quel est dans ce cas l’attribut ou la compétence la plus importante pour un combattant ?

VV : si vous avez le bon état d’esprit la compétence viendra. Vous ne pouvez pas vous concentrer uniquement sur la technique, si vous le faite elle sera creuse, incomplète et inutile en application réelle. En revanche, un bon état d’esprit vous donnera de la matière sur laquelle votre compétence pourra se développer naturellement.

Konstantin Komarov (KK) : j’ajouterais l’aptitude à comprendre pourquoi vous faites ce que vous faites, quel est l’objectif ? Vous devez comprendre les principes sous-jacents [du Systema n.d.t] . La véritable compétence c’est de se comprendre soi-même, ensuite les choses s’éclairciront.

VV : c’est très difficile parce qu’un soldat ne doit pas trop réfléchir, il a juste besoin d’agir.

KK : réfléchir est une chose mais se comprendre soi-même en est une autre.

VV : c’est exact. Un soldat doit posséder un niveau de compétence et de compréhension suffisant pour remplir sa mission et revenir vivant. C’est juste ça : protéger le pays et revenir en vie.

Quelles évolutions avez vous notées dans l’entrainement militaire contemporain ?

KK : avant on était plus solidaires, on se battait ensemble. Maintenant les gens sont plus éloignés les uns des autres et cela devient difficile. Avant les gens étaient plus attachés à leur patrie. On ne peut pas se battre pour de l’argent, seulement pour une idée. Si c’est pour de l’argent vous n’irez pas jusqu’au bout, vous ne serez pas prêt à mourir (qui va profiter de tout cet argent sinon ?).

KK : Maintenant les choses sont également différentes à cause des avancées technologiques. Avant les choses se passaient plus en face à face maintenant tout s’éloigne. Vous tirez et vous voyez à peine votre cible. Avant, s’il y avait quelque chose de pourri chez un de vos compagnons d’armes vous pouviez le voir au cours du combat. Avec la technologie il peut continuer à vivre en restant corrompu beaucoup plus longtemps.

Avez-vous toujours aimé les arts de combats ou les avez découvert au cours de votre entrainement ?

KK : J’ai aimé ça dés l’enfance

VV : J’ai aimé ça tout ma vie, c’est vraiment une vocation !

Quelle différence majeure voyez-vous entre les méthodes de combat militaires et les arts martiaux destinés aux civils ?

VV : Il n’y a pas de comparaison possible, ils ne sont pas sur le même plan.

KK : dans un contexte militaire vous devez accomplir votre tâche en utilisant le moins de temps et de moyens possibles alors que dans un cadre civil c’est tout un processus… C’est très long.

VV : dans l’armée vous apprenez à tuer. Toute l’idée c’est de tuer. Pas de « se battre » , c’est différent. Les unités des Forces Spéciales poussent cette éducation plus loin. Même au sein de ces unités les gens arrivent avec un bagage en boxe, en grappling ou en lutte et ils l’utilisent. Mais donner à un soldat l’idée de se « battre » est une erreur. Une grosse erreur. Il ne peut pas se battre. C’est impossible. S’il se « bat » cela signifie qu’il n’est pas prêt. S’il n’est pas prêt il ne survivra pas.

KK : parfois les Spetsnaz utilisent les deux afin de faire face à des objectifs variés comme dans les cas où des unités spéciales doivent capturer un adversaire vivant dans un objectif précis.

Plus spécifiquement, à quel moment attends-t-on d’un soldat qu’il développe son propre style de combat ?

KK : quand le besoin s’en fait sentir. Dans un premier temps demandez-vous pourquoi vous avez besoin d’une armée. Ce n’est pas pour défendre la mère Patrie mais pour amener des jeunes à maturité. Pour qu’ils cessent d’être infantiles et deviennent mâtures. Il faut bien comprendre ça sinon vous aurez une vision distordue des objectifs de l’entrainement militaire. Le combat à mains nues n’est pas là pour résoudre des problèmes mais pour faire d’un individu un être à part entière. Pour qu’un homme devienne un homme. C’est un défi plus complet et global que de mettre une volée à quelqu’un.

Idéalement ils devraient donc travailler à s’améliorer et à se développer dés le départ… Mais je pensais surtout aux méthodes de combat que nous essayons d’inculquer au soldat du rang. Vous avez dit avant qu’une fois arrivé à un certain niveau il faut dépasser les bases et commencer le travail avancé.

KK : en Russie, la structure même de l’armée rendait cela inutile, il s’agissait avant tout d’éduquer les gens. L’armée n’est qu’une excuse pour faire passer des hommes par un entraînement « viril ». Bien sûr vous apprenez certaines choses et devenez plus capable de défendre la patrie. Mais c’est secondaire. C’est seulement lorsqu’un homme à mûri qu’il peut développer son propre style et ses techniques.

A quel point la foi est-elle importante pour un combattant ?

VV : c’est la fondation.

KK : en cas de coup dur vous devez avoir la Foi et il y a plusieurs niveaux de Foi. La plus élevée, celle en Dieu, ensuite celle dans votre pays ensuite peut-être celle dans votre officier… C’est différent pour tout le monde mais vous devez l’avoir.

VV : la Foi est un point fondamental, originel. Parfois on peut la perdre comme en Russie au temps du communisme. Mais il y avait quelque chose qui connectait les gens même ceux qui n’étaient pas croyants. Ils avaient quand même cette connexion parce qu’ils étaient près à mourir pour leur patrie ou leurs proches. Et c’est très proche, cela connecte à Dieu.

Qu’est-ce qui rend le Systema unique par rapport au Combat Sambo (par exemple) ou à d’autres méthodes de combat dans le monde ?

KK : Tous les autres arts martiaux ont un objectif spécifique : obtenir la victoire dans une compétition ou bien acquérir une technique ou un niveau de compétence. Le Systema est très large : à partir du Systema vous pouvez vous dirigez vers n’importe quel art martial. Vous êtes au sommet de la colline et vous pouvez descendre dans n’importe quelle direction. Mais notez bien que je parle d’un processus de « descente » dans ce cas.

VV : il est difficile pour les gens d’accepter ou de comprendre le Systema. Cela est dû au fait que l’essentiel du travail se fait sur vous et la plupart des gens n’aiment pas ça car cela les obligent à faire face à leur paresse et leur orgueil entre autres choses.

KK : le Systema est avant tout une victoire sur soi-même. Lorsque vous vous êtes dépassé vous pouvez affronter d’autres personnes.

Le Systema insiste énormément sur la respiration, pourquoi est-ce si important ?

KK : parce que les processus internes du corps ne peuvent être contrôlé d’aucune autre manière. Nous ne pouvons pas contrôler de manière consciente nos organes internes. Il n’y a pas d’autres clés qui mène à notre subconscient et notre système nerveux en dehors de notre respiration. Et si vous ne pouvez pas contrôler votre système nerveux vous ne pouvez pas travailler efficacement.

Une dernière question, comment voyez-vous l’avenir du Systema ?

VV : nous créons un nouveau site web et  de nouvelles opportunités d’entraînement et nous avons déménagé dans une nouvelle salle. Plus largement le Systema devrait être supporté par des gens solides. Malheureusement il y en a peu. Des personnes faibles divisent le Systema petit à petit. Si des personnes solides pouvaient le soutenir, ce serait l’idéal.

KK : Il y a le Systema tel qu’on aimerait le voir et le Systema là où il sera. Le Systema porte en lui les bases fondamentales de toute préparation athlétique et c’est là que l’on aimerait le voir. Le Systema a également un gros potentiel pour travailler avec les jeunes, particulièrement avec ceux qui sont en difficulté. Je travaille avec des groupes de ce genre depuis un moment. Le Systema a également a un énorme potentiel pour aider les gens à gérer le stress de la vie ordinaire. Le Systema peut vraiment aider une personne à faire face aux problèmes de la vie courante car il rend les personnes calmes , capable de penser clairement et de voir les choses avec clarté. C’est là qu’est le défi, cela nous ramène à ce que Vladimir disait à propos des gens solides, tout le monde n’est pas prêt à faire ce sacrifice, de l’accepter et de travailler sur soi-même. Cela fait beaucoup à assimiler. Nous en sommes là : travailler à partir d’une situation idéale et faire face à la réalité.

Une interview de Vladimir Vasiliev et Konstantin Komarov réalisée par Brandon Sommerfeld et Kwan Lee (2011)
Traduit par Alexandre Jeannette