Celle qui tentait d’expliquer l’inexplicable

Je me souviens soudain de ce jour si particulier. Je n’arrive pas à réprimer l’envie d’essayer de le raconter.
Je me souviens de la difficulté à me concentrer sur le cours de l’après midi avec cet énergumène énigmatique dans les parages …
L’énigmatique, l’Homme, celui avec qui j’ai vécu quelque chose de si atypique, de si bizarre, de si incroyable ce jour là. Celui que je fuyais du regard, celui qui me fuyait en retour en disparaissant de mon champ de vision, celui que je retrouvais toujours au détour d’une œillade discrète.

Je ne l’ai pas remarqué tout de suite. Je dois même avouer que je l’avais à peine vu.
Le jour de l’accueil des participants, j’ai scruté un peu tout le monde, essayant de deviner ce que chacun était venu chercher. Bien sur, j’ai remarqué son charmant sourire et ses fossettes à peine visibles, mais rien de plus.
Il faut avouer que j’étais surtout en mode « Je vais bien tout va bien – Même pas peur », et j’en faisais des tonnes et des caisses pour ne pas trembler, et surtout pour ne pas m’enfuir en courant, pour que personne ne remarque l’absurdité de ma présence parmi ces férus de sport près à se faire marcher dessus !

Ce n’est que le deuxième ou troisième jour, au détour d’une clope partagée avec les quelques irréductibles fumeurs, que je me suis rendue compte qu’il aurait pu être craquant s’il n’était pas si coincé, si rigide, quasi invisible.
Je me suis bien sûr demandée s’il le faisait exprès. Et l’armure était clairement de bonne qualité.
C’est le quatrième et avant dernier jour que la magie s’en est mêlée.

Une histoire incroyable que je n’oserais même pas essayer de raconter si je n’avais pas appris plus tard que mon ressenti avait été le même dans le cœur du volcan éteint, au plus profond de l’armure de celui dont je vous parle.

Si je m’écoutais, je le raconterais comme cela :
« Il était une fois un homme qui se retrouvait catapulté dans un monde parallèle. Poussé par son frère qui avait entendu parler de ce monde sur Internet, il avait écouté ses conseils et réservé une place pour participer à un stage organisé par les dignitaires de haut rang de la planète Global Systema.
Les mains profondément enfoncées dans ses poches, le cou bien ancré dans ses épaules, le dos bombé pour paraître plus tassé, les yeux baissés et le sourire timide, il était entré dans la maison d’accueil de la délégation terrienne en se demandant ce qu’il foutait là.
Agressé par toutes ces voix, ces sourires, cette énergie, il se sentait bien petit.
Dans un coin de la pièce, une fille. Elle riait, semblait à l’aise.
Elle serrait amoureusement certains des autochtones dans ses bras, caressait quelques dos des autres visiteurs, souriait malicieusement à tous ceux qui l’abordaient. Elle faisait visiblement partie du peloton de chefs de la planète Global.
Après s’être installé avec d’autres visiteurs dans une boite à lits, il se rendit au rassemblement de présentation du programme de la semaine et de la séance d’entrée en matière du style de vie local et de ses coutumes. L’ambiance s’annonçait bon enfant, tout le monde semblait assez motivé et prêt à jouer le jeu.
Jouer était un concept qu’il avait quelque peu oublié, mais il décida d’essayer.

Puis ce fut l’heure de découvrir et de partager les habitudes alimentaires de la planète.
Il les trouva bien agréables, et pas si éloignées de ces propres habitudes. Le cuisinier, ainsi que le chef de tribu et les privilégiés de sa table, faisaient visiblement tout leur possible pour rendre le séjour découverte sympathique.

Il fut assez surpris de réaliser que la jeune fille rencontrée le premier jour, était une visiteuse comme les autres. Elle avait seulement déjà connaissance de l’existence de la planète, et fréquentait depuis peu quelques membres de la délégation Global Systema sur Terre.
Il se rendit compte que sa palpable joie de vivre, que son sourire permanent et ses mots d’humour, n’étaient qu’une autre forme de carapace. Elle était dans un contrôle aussi maîtrisé que le sien, utilisant simplement une autre écorce.

Malgré une franche participation à toutes les activités proposées, L’Homme avait du mal a laisser transparaître ses émotions. Il avait suffisamment emmitouflé son cœur sous une montagne de contrôle pour ne pas le laisser s’exprimer.
Il profitait pleinement, s’amusant franchement, mais voyait bien les visages qui s’ouvraient, ceux des visiteurs qui exploraient plus profondément, qui lâchaient prise, qui tombaient leurs propres armures.

Le troisième jour, il suivit son instinct, et demanda à l’autochtone en charge des massages magiques de lui prévoir un rendez-vous. Ravi de partager son savoir avec un visiteur, l’autochtone accepta sans détour.
Armé de son amour, de ses incroyables compétences, et de ses petits bâtons salvateurs, l’autochtone massa l’Homme en profondeur.
Si profond, que l’Homme sentit que quelque chose d’inhabituel se produisait. Il sentit monter, du fond de sa mémoire, des impressions, des sensations, des images, qui ne lui avaient pas appartenues depuis trop longtemps.
En ressortant de la séance, les autres visiteurs lui firent remarquer le changement visible qui semblait s’être opéré.

En effet, dès le lendemain, la jeune fille lui dit que ses épaules semblaient plus détendues, que son cou était visible, et qu’une étincelle malicieuse semblait s’être réveillée dans ses yeux.
Il fut touché par son attention, et se demanda même s’il ne l’avait pas vu rougir …
Comme l’autochtone avait-il pu réaliser ce miracle ?

A peine 24h s’étaient écoulées depuis le massage magique. Il s’était réveillé plus détendu, plus enjoué, plus positif. Visiblement, quelque chose s’était produit, même s’il lui était impossible de le définir concrètement.
Dans la matinée, alors qu’il discutait calmement avec 2 visiteurs affairés à se masser, il vit du coin de l’œil la jeune fille s’approcher timidement de lui. Elle arrivait du fond de la salle, et semblait le contourner pour arriver jusqu’à lui.

Alors qu’il était à genoux devant le binôme de participants, elle s’approcha doucement, s’accroupit derrière lui, et colla son corps contre son dos en lui passant les bras autour du cou, posant ses mains sur ses pectoraux.
Instinctivement, il prit les mains dans les siennes, et s’étonna d’accueillir cette étreinte en resserrant ses bras autour de ceux de la jeune femme.
En quelques secondes, la scène devint totalement intemporelle.

Tandis qu’il soupira dans une grande inspiration, elle en fit de même. Il sentit quelque chose s’introduire chaleureusement au travers de la peau de son dos. Une chaleur réconfortante, bienveillante, incroyablement apaisante.
Alors, il se lâcha et s’abandonna complètement.
Le cœur de la jeune fille se mit à résonner dans son dos au rythme du sien, leurs souffles s’harmonisèrent, et les yeux fermés, ils entrèrent dans une sorte de fusion simple et évidente.

Le temps s’arrêta jusqu’à ce que le chef du Global Systema ne siffle le rassemblement pour les activités de fin de matinée.
Ils se décolèrent en une expiration commune. Elle se laissa glisser au sol, il se retourna doucement. Ils se regardèrent sans pouvoir se parler, interdits.

Tandis qu’il se levait pour rejoindre le groupe, il la vit prendre la porte, discrètement, comme pour disparaître. Il ne chercha pas à comprendre, acceptant simplement ce qu’il avait vécu : une magie indescriptible.»

5 commentaire sur “Celle qui tentait d’expliquer l’inexplicable

  1. Voilà, j’ai tout lu. Enfin.
    Heureux pour toi que tu aies enfin trouvé cette libération que tu cherchais depuis si longtemps.

    Bise

    • Libérée. C’est un excellent choix de terme ça !
      Je cherchais la sortie alors qu’elle était devant moi. C’est la peur de franchir la porte qui me retenait prisonnière.
      Et puis un jour, j’ai osé. J’ose. Donc je vis !!! :D

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