Celle qui se prenait pour un poisson philosophe

Un 3ème stage implique un 3ème passage dans le bocal.
Je ne redoutais pas l’exercice. J’étais même plutôt curieuse de savoir ce que j’avais appris des passages précédents, et comment j’allais mettre en pratique ce que je pensais avoir acquis.
J’ai donc essayé de laisser mon cerveau et mon ressenti au taquet pour prendre le maximum d’informations et chercher ensuite à les retranscrire.
Finalement, une seule évidence m’est apparue : Le bocal est une magnifique représentation de la vie. De ma vie.

Les consignes sont les suivantes :
Interdiction d’ouvrir les yeux. Aucune anticipation possible. Comme dans la vie, redouter les choses, avoir peur qu’elles arrivent, n’empêche en rien la fatalité d’agir. Au contraire, il est souvent arrivé que ce que je redoutais vienne plus vite que prévu, et que la peine n’en soit que plus forte.
Interdiction de parler. M’enlever les mots, m’enlever la possibilité de demander le pourquoi, d’expliquer le comment, c’est comme me couper les membres ! Ainsi, j’ai compris que d’expliquer, de réfléchir, de dialoguer, ne suffit pas forcement lorsqu’on avance dans la vie. Que l’instinct et le lâcher prise sont bien plus efficaces qu’une confrontation verbale stérile.
Obligation de rester en mouvement. Impossible de se mettre dans un coin pour se faire oublier, de s’arrêter pour souffler ou pour reprendre des forces. C’est le meilleur moyen de se faire repérer et de prendre un coup. Dans la vie, avancer et ne pas se retourner sur le passé donne une plus grande chance à l’avenir. J’ai pris des coups et fait des erreurs, mais m’arrêter pour pleurer sur mon sort ne m’a servi à rien. Avancer, forte de l’expérience, me permet de perdre moins de temps et de rester dans une dynamique positive.
Et si le coup suivant est encore désagréable ? Et s’il est plus violent ?
Idem. J’avance en sachant qu’il ne s’agit que d’étapes, et que plus je suis positive et déterminée, moins je cherche à crier à l’injustice et à m’arrêter pour gémir, plus l’épreuve est fugace, et plus la douleur se diffuse facilement.

Une fois les règles posées, le bocal, la représentation de la vie, peut commencer.
Je pars en respirant calmement. Inspire en 2, expire en 2. Je traine les pieds, je lâche les épaules.

Les premières minutes, comme les premières années de ma vie, sont tranquilles. J’apprends à respirer, à marcher, à me détendre et à me faire confiance. Je touche des épaules bienveillantes, je cogne des camarades, je caresse les mains que je croise et j’apprivoise l’espace et l’environnement. Jean Marie et Manu, que j’appellerais « L’Extérieur » distribuent quelques caresses, quelques petites poussées pour m’encourager à rester bien droite, à avancer encore plus en confiance. « L’Extérieur » est donc là, dans un premier temps, pour me rappeler de respirer, me calmer, me détendre, voire pour me féliciter et m’encourager de quelques « Bien … », « Oui, voilà … », des conseils aussi « Respire … », « Voilà, détends toi, lâche les épaules … »
Ils préparent la montée, crescendo, des épreuves à venir.

La deuxième période alterne coups, caresses, pichenettes, et bruits. Ces derniers sont pénibles pour moi puisqu’ils représentent la souffrance des autres et mon impuissance.
Une main sur l’épaule gauche, un coup sur l’épaule droite.
Un couteau qui caresse mon cou, un bâton qui m’arrête nette au niveau du ventre.
Un doigt sur mon nez, une caresse sur la joue, une main dans mes cheveux.
Un fouet qui claque sur mes fesses, une main qui me stoppe violemment au niveau de la poitrine.
Des doigts qui pincent mon bras, un autre qui me chatouille le flanc. Je riposte et je cherche à jouer, je crois que je m’amuse au rythme de ma satisfaction qui grandi.
Autant de bons moments, que de mauvais. Des gestes simples, d’autres sans conséquence. Certains piquent, certains calment, d’autres surprennent.
Pendant ce temps, je sens que j’ai apprivoisé l’environnement.
Je reconnais les fenêtres et le soleil qui passe à travers. L’odeur du café dans la machine que j’ai déjà percutée plusieurs fois et que je contourne désormais. Le son qui change lorsque je me rapproche d’un mur. La surprise d’être percutée par quelqu’un lorsque je ne m’y attends pas, la satisfaction de réussir à traverser la pièce comme si j’y étais seule, et le sourire que j’ai lorsque j’entends des pas qui s’éloignent et que je réalise qu’il ne s’agit pas d’un membre de « l’Extérieur ».

Les coups se font de plus en plus durs. La violence physique et psychologique se fait sentir.
Les émotions montent et se percutent. Mais à force de respiration, de gestion de l’instant et du « droit devant », j’accueille, râle un peu, mais m’en amuse presque.
Et enfin, le grand final, j’entends les premières gifles résonner dans la pièce. J’entends les cris, les râles et les pleurs qui s’étendent. Bien sûr, j’écoute religieusement. Je cherche à reconnaître les voix et j’attends mon tour, parce que je sais d’avance que dès que j’en aurais l’occasion, je me précipiterai, enfin, tant que possible, vers ceux qui auront besoin d’être réconfortés, d’être pris dans les bras, d’être rassurés. Et je serais là. Parce que je veux cette place et ce rôle dans cette représentation de ma vie…
Et enfin, mon tour. Vlaaan ! Vache, puissante ! Et deux, ouch, ça pique ! Et 3, puis 4 ! Malgré la piqure cuisante qui se diffuse sur ma joue, je comprends. Je sais. Je n’ai plus peur, je n’ai plus mal. Il n’est pas injuste que je sois giflée. Il n’est pas insupportable d’avoir mal. Il n’est pas insurmontable d’attendre que ça passe. Il n’est pas anormal de sentir un sourire s’armer sur mon visage.
Tout ceci n’est que mon choix. Mon envie de tester mes résistances. Mon choix d’être ici et maintenant, mon choix de sentir ma joue chauffer et de décider que ce n’est qu’une gifle, que je n’en mourrais pas. Mon choix de compter jusqu’à la sixième pour pouvoir enfin prendre « l’Extérieur » dans mes bras pour lui signifier que je ne lui en veux pas, que j’ai compris qu’il ne le faisait qu’à ma demande, et que c’est grâce à cela que je me sens debout, plus forte, plus sûre de moi, indestructible ! J’ai le choix ! On a toujours le choix. De partir, de fuir, de résister, de subir, d’agir … Des actions qui déterminent ce que nous sommes, à un instant précis uniquement, et qui peuvent évoluer et changer à tout moment.
Je ne suis pas lâche parce que je fuis une fois. Je ne suis pas bête parce que je n’ai pas la réponse à une question. Je ne suis pas folle parce que je ne suis parfois sentie différente. Je ne suis pas faible parce que je me suis sentie parfois impuissante.

Lorsque l’exercice se termine, l’image de la réalité de la vie me revient.
Aucun coup n’a été fatal et personne n’est mort. Le moment était pénible, mais n’a détruit aucun de nous. Nous sommes simplement interdits, hagards, déstabilisés. Vivants.
(à suivre…)

2 commentaire sur “Celle qui se prenait pour un poisson philosophe

  1. J’AIME ….
    Je n’ai plus peur, je n’ai plus mal. Il n’est pas injuste que je sois giflée. Il n’est pas insupportable d’avoir mal. Il n’est pas insurmontable d’attendre que ça passe. Il n’est pas anormal de sentir un sourire s’armer sur mon visage.
    Tout ceci n’est que mon choix. Mon envie de tester mes résistances. Mon choix d’être ici et maintenant, mon choix de sentir ma joue chauffer et de décider que ce n’est qu’une gifle, que je n’en mourrais pas. Mon choix de compter jusqu’à la sixième pour pouvoir enfin prendre « l’Extérieur » dans mes bras pour lui signifier que je ne lui en veux pas, que j’ai compris qu’il ne le faisait qu’à ma demande, et que c’est grâce à cela que je me sens debout, plus forte, plus sûre de moi, indestructible ! J’ai le choix ! On a toujours le choix. De partir, de fuir, de résister, de subir, d’agir … Des actions qui déterminent ce que nous sommes, à un instant précis uniquement, et qui peuvent évoluer et changer à tout moment.
    Je ne suis pas lâche parce que je fuis une fois. Je ne suis pas bête parce que je n’ai pas la réponse à une question. Je ne suis pas folle parce que je ne suis parfois sentie différente. Je ne suis pas faible parce que je me suis sentie parfois impuissante.
    JE TE SENS VIVRE … FEMME et AMOUR DE FEMME !

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